Space Hotel
USA
Le Grand Ascenseur de Verre de Mr. Wonka n’était pas le seul appareil en orbite autour de la Terre à ce moment-là. Deux jours auparavant, les États-Unis d’Amérique avaient lancé leur premier hôtel spatial, une gigantesque capsule en forme de saucisse qui n’avait pas moins de deux mille pieds de long. Cette merveille de l’ère spatiale s’appelait le Space Hôtel U.S.A. A l’intérieur, il y avait un court de tennis, une piscine, un gymnase, une salle de jeux pour les enfants, et cinq cents magnifiques chambres ayant chacune leur salle de bains, tout cela bien entendu avec air conditionné. L’hôtel était également équipé d’une machine à créer une gravité artificielle pour marcher normalement sans flotter.
Cet extraordinaire objet tournait maintenant autour de la Terre, à une hauteur de deux cent quarante miles. Un service de taxis, des petites capsules décollant de Cap Kennedy, faisaient la navette toutes les heures, du lundi au vendredi, pour embarquer et débarquer les clients. Pourtant, jusqu’à présent, il n’y avait eu personne à bord, même pas un astronaute. Personne n’avait vraiment cru qu’une chose aussi énorme pourrait quitter le sol sans exploser !
Pourtant, le lancement fut un grand succès, et depuis que le Space Hôtel était en orbite, on se pressait, on se bousculait pour envoyer les premiers hôtes. On racontait même que le Président des Etats-Unis en personne serait parmi les premiers à séjourner à l’hôtel, et bien sûr, des tas de gens des quatre coins du monde se ruaient comme des enragés pour retenir des chambres. Plusieurs rois et plusieurs reines envoyèrent des télégrammes à la Maison Blanche, à Washington, pour obtenir des réservations, et un milliardaire texan du nom d’Orson Cart, qui devait épouser une starlette, Helen Highwater, offrit cent mille dollars pour passer une journée dans la suite réservée aux jeunes mariés.
Mais on ne peut pas envoyer des clients dans un hôtel s’il n’y a personne pour s’occuper d’eux. Et voilà pourquoi un autre objet volant tournait autour de la Terre. C’était une grande capsule qui transportait tout le personnel du Space Hôtel U.S.A. : des directeurs, des sous-directeurs, des caissiers, des serveuses, des grooms, des femmes de chambre, des chefs pâtissiers et des plantons. Cette capsule était pilotée par les trois célèbres astronautes Shuckworth, Shanks et Showler, tous les trois beaux, intelligents et courageux.
« Dans une heure exactement, déclara Shuckworth dans un haut-parleur aux passagers, nous atteindrons le Space Hotel U.S.A., que vous aurez le bonheur d’habiter pendant dix ans. Bientôt, devant vous, vous allez apercevoir pour la première fois ce magnifique vaisseau spatial. Ah, ah ! Je vois quelque chose ! Mes amis, c’est sûrement ça ! Oui, il y a bien un engin au-dessus de nous ! »
Shuckworth, Shanks et Showler, ainsi que les directeurs, les sous-directeurs, les caissiers, les serveuses, les grooms, les femmes de chambre, les chefs pâtissiers et les plantons, regardèrent par les hublots, tout excités. Shuckworth alluma deux petites fusées pour accélérer la vitesse de la capsule et rattraper l’engin.
« Hé ! brailla Showler. Ce n’est pas notre hôtel spatial !
— Peste ! s’écria Shanks. Par Nabuchodonosor, qu’est-ce que c’est ?
— Vite ! Un télescope ! » hurla Shuckworth.
D’une main, il régla le télescope tandis que de l’autre il appuya sur le bouton qui le reliait à la Tour de Contrôle, à terre.
« Hello, Houston ! cria-t-il dans le micro. Il y a un truc incroyable, en haut ! C’est une chose en orbite, au-dessus de nous, et ça ne ressemble en rien aux vaisseaux de l’espace que j’ai vus, ça, c’est sûr !
— Décrivez-le ! ordonna la Tour de Contrôle à Houston.
— C’est… c’est tout en verre, une sorte de cube, et il y a plein de gens dedans ! Ils flottent comme des poissons dans un aquarium !
— Combien d’astronautes à bord ?
— Aucun, répondit Shuckworth. Ça ne peut pas être des astronautes.
— Et pourquoi ?
— Parce que trois d’entre eux sont en chemise de nuit !
— Ne faites pas l’idiot ! glapit la Tour de Contrôle. Remettez-vous, mon gars ! C’est sérieux.
— Je vous le jure ! s’écria le malheureux Shuckworth. Trois sont en chemise de nuit ! Deux vieilles femmes et un vieil homme ! Je les vois nettement ! Je vois même leurs figures ! Ciel ! Ils sont plus vieux que Moïse ! Ils ont dans les quatre-vingt-dix ans !
— Vous êtes fou, Shuckworth ! hurla la Tour de Contrôle. Vous êtes licencié ! Passez-moi Shanks !
— Ici Shanks, dit Shanks. Écoutez-moi, Houston. Il y a ces trois drôles d’oiseaux en chemise de nuit, en train de voler dans cette incroyable boîte en verre et il y a un curieux petit bonhomme avec un bouc, qui porte un haut-de-forme noir, un habit à queue en velours de couleur prune et un pantalon vert bouteille.
— Arrêtez ! cria la Tour de Contrôle.
— Ce n’est pas tout, dit Shanks. Il y a aussi un petit garçon d’une dizaine d’années…
— Ce n’est pas un petit garçon, imbécile ! coupa la Tour de Contrôle. C’est un astronaute déguisé ! Un astronaute nain déguisé en petit garçon ! Et ces vieux aussi sont des astronautes ! Ils sont tous déguisés !
— Mais qui sont-ils ? demanda Shanks.
— Comment diable le savoir ? dit la Tour de Contrôle. Est-ce qu’ils se dirigent vers notre Space Hôtel ?
— Exactement ! vociféra Shanks. Maintenant, je vois le Space Hôtel à environ un mile au-dessus de nous !
— Ils vont le faire exploser ! hurla la Tour de Contrôle. Quelle catastrophe ! C’est…»
Soudain, la voix fut interrompue et Shanks entendit une autre voix dans ses écouteurs, grave et âpre, entièrement différente.
« Je m’en occupe, fit la voix grave et âpre. Vous êtes là, Shanks ?
— Bien sûr que je suis là, dit Shanks. Comment osez-vous nous interrompre ? Et qui êtes-vous ?
— Le Président des États-Unis, dit la voix.
— Et moi, le Magicien d’Oz, dit Shanks. Vous voulez me faire marcher ?
— Arrêtez vos âneries, coupa le Président. Il s’agit d’une Affaire d’État.
— Mon Dieu ! s’écria Shanks en se retournant vers Shuckworth et Showler. C’est vraiment le Président, le Président Gilligrass en personne… Eh bien, bonjour, monsieur le Président. Comment allez-vous aujourd’hui ?
— Combien y a-t-il de personnes dans la capsule en verre ? demanda le Président de sa voix âpre.
— Huit, dit Shanks. Toutes en train de flotter.
— En train de flotter ?
— Nous sommes en apesanteur, là-haut, monsieur le Président. Tout le monde flotte. Nous-mêmes, nous flotterions si nous n’étions pas retenus par des courroies. Le saviez-vous ?
— Bien entendu, répondit le Président. Qu’est-ce que vous pouvez me dire d’autre, au sujet de cette capsule en verre ?
— Il y a un lit à l’intérieur, un grand lit à deux places qui flotte lui aussi.
— Un lit ! aboya le Président. Il n’y a jamais de lit dans un engin spatial !
— Je vous jure que c’est un lit.
— Vous êtes fondu, Shanks, déclara le Président. Fondu comme un fromage ! Passez-moi Showler !
— Ici Showler, monsieur le Président, dit Showler en prenant le micro à Shanks. C’est un grand honneur pour moi de vous parler, monsieur le Président…
— Oh ça va ! coupa le Président. Dites-moi ce que vous voyez.
— C’est un lit, monsieur le Président. Je le vois dans mon télescope. Il y a des draps, des couvertures, et un matelas…
— Ce n’est pas un lit, espèce de radoteur taré ! hurla le Président. Vous ne comprenez pas que c’est une ruse ? C’est une bombe ! Une bombe camouflée en lit ! Ils vont faire sauter notre magnifique Space Hotel !
— Qui ça, ils, monsieur le Président ? demanda Shanks.
— Ne parlez pas tant et laissez-moi réfléchir », dit le Président.
Il y eut un moment de silence. Showler attendait nerveusement, ainsi que Shanks et Shuckworth, et ainsi que les directeurs et les sous-directeurs, les caissiers et les serveuses, les grooms et les femmes de chambre, les chefs pâtissiers et les plantons. En bas, dans l’énorme Tour de Contrôle, cent contrôleurs étaient assis sans bouger devant leurs cadrans, dans leurs cabines d’écoute, attendant les ordres que le Président allait donner aux astronautes.
« J’ai une idée, dit le Président. Y a-t-il une caméra de télévision à l’avant de la capsule, Showler ?
— Absolument, monsieur le Président.
— Alors, filmez, crétin ! Comme ça, en bas, nous pourrons voir l’objet !
— Je n’y aurais jamais songé, dit Showler. Pas étonnant que vous soyez le Président. Voilà…»
Il appuya sur le bouton qui déclenchait la caméra, dans le nez de l’appareil, et, au même moment, les cinq cent millions de gens dans le monde, qui venaient de tout entendre à la radio, se précipitèrent sur leurs téléviseurs.
Et, sur leurs écrans, ils virent exactement ce que Shuckworth, Shanks et Showler voyaient : une étrange boîte en verre, en orbite autour de la Terre et, à l’intérieur (l’image n’était pas très nette mais il n’y avait aucun doute), sept adultes, un petit garçon et un grand lit à deux places en train de flotter. Trois des adultes étaient en chemise de nuit, pieds nus. Au loin, au-delà de la boîte en verre, les téléspectateurs aperçurent le Space Hôtel, énorme, étincelant et argenté.
Mais ce qui attirait tous les regards, c’était la sinistre boîte en verre avec son sinistre équipage, huit créatures si fortes et si résistantes qu’elles ne portaient même pas de combinaisons spatiales. Qui étaient ces gens et d’où venaient-ils ? Et cette grande chose diabolique, camouflée en lit à deux places, qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Le Président avait dit qu’il s’agissait d’une bombe et il avait probablement raison. Qu’allaient-ils en faire ? A travers l’Amérique, le Canada, la Russie, le Japon, l’Inde, la Chine, l’Afrique, l’Angleterre, la France, l’Allemagne et partout ailleurs dans le monde, une sorte de panique commença à s’emparer des téléspectateurs.
« Restez à distance, Showler, ordonna le Président dans la radio.
— Pour sûr, monsieur le Président, répondit Shanks. Pour sûr. »